2. On doit changer ça

Iwata  :

Que s’est-il passé au sein de PlatinumGames pour que vous proposiez le projet à Nintendo une deuxième fois ? J’imagine que cela n’a pas été simple de réécrire le plan.

Inaba  :

Effectivement. Pour PlatinumGames, le projet tournait autour des personnages. Nous avons donc arrêté le projet dans son ensemble pendant quelque temps, car nous savions que ce serait difficile si nous n’avions pas les autorisations. Kamiya travaillait déjà sur un autre projet depuis un certain temps.

Iwata  :

Ah oui ?

Inaba  :

Oui, mais de nombreux facteurs inhérents à ce nouveau projet nous ont obligés à l’abandonner. Ainsi, quand Kamiya et moi avons discuté de ce que nous allions faire, il m’a un peu obligé à dire : « Je veux vraiment m’occuper de cet autre projet. »

Kamiya  :

Bah, c’est vrai. Je ne peux pas imaginer des projets à la chaîne.

Tout le monde  :

(rires)

Inaba  :

Après avoir revu certains facteurs, nous avons conservé le gameplay que nous avions proposé à l’origine et réalisé une démo sur ordinateur en remplaçant les personnages existants par des superhéros. Nous avons proposé le tout à Nintendo.

Iwata  :

Aviez-vous des images des superhéros qui étaient devenus les personnages principaux à ce stade ?

Kamiya  :

Non, les visuels que nous avions étaient assez différents.

Yamagami  :

Au début du projet, les personnages ressemblaient plus à Viewtiful Joe11, un peu à l’image des superhéros sombres des comics américains. J’aimais beaucoup ces graphismes et je pensais que nous pourrions les tenter.11. Viewtiful Joe : jeu d’action à défilement horizontal sur GameCube réalisé par Capcom et commercialisé au Japon en juin 2003 et en Europe en octobre de la même année. Le jeu proposait des actions « VFX » qui permettaient au joueur de contrôler l’espace et le temps. Ses graphismes reprenaient le style des comics américain. D’autres épisodes ont été réalisés et il a fait l’objet d’une adaptation en série animée au Japon.

Iwata  :

OK.

Yamagami  :

Matsushita-san adore les jeux d’action. Je lui ai donc montré et je lui ai fait la proposition suivante : « Ce projet sera très intéressant. Veux-tu travailler avec moi ? » Il m’a répondu aussitôt : « Les images sont trop sombres. Les gamins du primaire et du collège n’accrocheront pas. »

Iwata  :

Ça a été votre première réflexion, Matsushita-san ?

Matsushita  :

C’est vrai. (rires) J’étais convaincu qu’il fallait revoir ça, mais je ne pouvais pas dire : « Ça ressemble beaucoup trop à un comic glauque. Ça ne va pas », à quelqu’un qui avait déjà fait un jeu dans le même style.

Iwata Asks
Iwata  :

Cela aurait été tout à fait déplacé ! (rires)

Matsushita  :

J’ai entendu dire que les gars de PlatinumGames étaient vraiment exigeants. Nous avons donc beaucoup parlé entre nous de la façon de leur faire passer le message et si nous devions donner la priorité au concept de PlatinumGames et de progresser.

Iwata  :

Finalement, il a été décidé que pour toucher le maximum de personnes, vous deviez modifier l’aspect visuel du jeu.

Matsushita  :

C’est exact. Je me suis donc dit : « Il faut être franc avec eux et leur demander. »

Iwata  :

Quelle a été votre réaction, Kamiya-san ?

Kamiya  :

Sincèrement, quand j’ai entendu ça, je me suis dit : « Je savais que ça arriverait. » Je m’étais rendu compte que nous serions sur un marché de niche si nous continuions dans cette voie. Je n’arrivais pas à me décider sur ce qui était le mieux. C’est alors qu’Inaba m’a parlé des suggestions de Nintendo...

Iwata Asks
Inaba  :

(se tournant vers Kamiya-san) Vous dites ça comme si vous aviez tout accepté dès le départ, mais nous avons dû discuter assez longtemps ou je me trompe ?

Kamiya  :

J’ai pleuré auprès d’Inaba comme un petit garçon.

Tout le monde  :

(rires)

Iwata  :

Puis, Inaba-san, qui connaît Kamiya-san depuis longtemps, a vu et a compris : « Kamiya a été touché là où ça fait mal. »

Inaba  :

Le problème avec Kamiya, c’est qu’il est à peu près pareil lorsqu’il proteste pour une bonne raison.

Iwata  :

Vous avez du mal à voir la différence ?

Inaba  :

Exactement. Il commence à avancer sur le projet en disant : « Bien. Si le grand et puissant producteur dit ça, je crois que je n’ai pas trop le choix. »

Tout le monde  :

(rires)

Yamagami  :

Cependant, les graphismes que nous avons obtenus après leur avoir laissé la main étaient légèrement différents de ceux que nous avions imaginés. Cela ressemble bien à Kamiya-san d’aller plus loin que : « Je les ai modifiés comme vous aviez demandé. »

Kamiya  :

Le concept de « visages réalistes, jouets réalistes » était né. On a donc un résultat à la fois pop et réaliste.

Iwata  :

Il y a quelque chose d’unique qu’on ne voit pas beaucoup ailleurs et cela offre aussi un aspect joyeux et pop.

Inaba  :

On retrouve la patte Kamiya, mais presque tout le côté sombre qui était inutile a disparu. Je pense que nous avons obtenu un bon équilibre.

Iwata  :

Arrivés à ce point, il ne vous restait plus qu’à la réaliser ? Après tout, le cadre du jeu était déjà très clairement exposé dans le plan de projet.

Yamagami  :

C’est vrai. Comme nous l’avons dit un peu plus tôt, les bases du jeu, dont

Video: Unimorphisation

Que s’est-il passé au sein de PlatinumGames pour que vous proposiez le projet à Nintendo une deuxième fois ? J’imagine que cela n’a pas été simple de réécrire le plan.
l’unimorphisation , n’avaient pas beaucoup changé depuis le tout début. Le joueur débarque avec une armée de superhéros et peut faire appel à l’unimorphisation pour transformer cette armée en un personnage géant qu’il utilisera pour résoudre les problèmes sur la carte. Il existe toutes sortes d’unimorphisations et vous décidez de la façon dont régler les problèmes à mesure que vous jouez. Vous pouvez utiliser et sélectionner un véritable arsenal d’armes différentes.

Iwata  :

Tout cela avait déjà été décidé.

Yamagami  :

Oui. Au sein de Nintendo, notre premier souhait était d’avoir toutes ces caractéristiques de jeu terminées, mais ils ne voulaient pas nous montrer grand-chose au début. Kamiya-san s’intéressait avant tout à la construction du monde de jeu. On avait droit à des tas d’idées comme : « Je veux faire ceci ! Je veux faire cela ! »

Iwata Asks
Iwata  :

D’accord. Quand je vous ai rencontré à l’époque, Yamagami-san, je me souviens avoir demandé à plusieurs reprises quelle impression donnait le gameplay.

Yamagami  :

Exact. Nous connaissions les graphismes et nous savions ce que le gameplay donnerait, mais seule la réalisation du monde de jeu avançait. Nous ne savions pas non plus en quoi il allait être amusant et tous les autres aspects importants. Cela a commencé à m’inquiéter. Cette situation a duré assez longtemps.

Kamiya  :

Pour toutes ces questions, ce n’est qu’en 2013 que nous avons enfin terminé le gameplay ?

Matsushita  :

Vous pouviez y jouer normalement aux alentours de l’E312 de l’an passé, mais ce n’est que cette année que nous avons réglé tous les détails.12. L’E3 est l’Electronic Entertainment Expo, un salon du jeu vidéo qui a lieu tous les ans à Los Angeles. L’édition 2012 s’est déroulée du 5 au 7 juin 2012.

Kamiya  :

C’est exact. J’avais l’impression que les choses avançaient lentement. À chaque date butoir, nous nous disions : « On ne peut pas laisser ça comme ça », et nous changions un peu les choses.

Iwata  :

Les dates butoir sont-elles un moyen d’avancer pour vous, Kamiya-san ?

Kamiya  :

Oui. Ce n’est que lorsque j’ai les dents qui claquent et que je me dis : « Je le sens mal ! » que je peux vraiment réfléchir à quelque chose.

Iwata  :

(rires)

Inaba  :

(se tournant Kamiya-san) Je devrais peut-être vous faire arracher les dents...

Tout le monde  :

(rires)

Kamiya  :

Je n’étais quand même pas satisfait du résultat à l’époque de l’E3 2012. Ce n’était pas encore vraiment drôle. On avait de bons graphismes, il y avait cet aspect propre au jeu d’avoir plein de personnages, mais il nous manquait le plus important, à savoir le gameplay.