2. Le piège du producteur

Iwata :

Fujibayashi-san, pourquoi avez-vous désigné Iwamoto-san en tant que « cerveau du ciel » ?

Fujibayashi :

À cette époque, le développement de The Legend of Zelda: Spirit Tracks3, sur lequel Iwamoto-san était réalisateur, allait se terminer. J’ai entendu dire qu’il souhaitait rejoindre notre équipe, alors je n’ai pas perdu une seconde pour lui demander d’être le cerveau du ciel. 3 The Legend of Zelda: Spirit Tracks : jeu d’action-aventure contrôlé au stylet, commercialisé sur la console Nintendo DS en décembre 2009.

Iwata :

Iwamoto-san, à quoi ressemblait le ciel quand vous êtes arrivé ?

Iwamoto :

Quand je suis arrivé sur le projet, il y avait une grande île dans le ciel et on pouvait sauter de là pour rejoindre la terre ferme à travers des trous dans les nuages. Nous avons réfléchi à d’autres possibilités de déplacement, mais comme il s’agit du ciel, l’idée d’un oiseau nous est venue naturellement. Nous avons essayé plusieurs choses et fait en sorte que l’on puisse voler où l’on veut.

Iwata Asks
Aonuma :

Mais nous avons réalisé que le fait de pouvoir voler n’importe où allait engendrer des problèmes, comme « Jusqu’où doit-il pouvoir voler ? » Je n’arrêtais pas de dire à Iwamoto-san que ce serait suffisant d’arriver à destination au moment où vous sauteriez sur l’oiseau. Iwamoto-san a utilisé différents moyens de transport comme un bateau dans The Legend of Zelda: Phantom Hourglass4 et un train dans The Legend of Zelda: Spirit Tracks, alors je ne pensais pas qu’il se jetterait à l’eau encore une fois, mais… (rires) 4 The Legend of Zelda: Phantom Hourglass : jeu d’action-aventure contrôlé au stylet, commercialisé en juin 2007 au Japon. Il s’agit du premier titre de la série The Legend of Zelda sur la console Nintendo DS.

Iwamoto :

Eh bien… si. J’ai décidé qu’il fallait que je le fasse. Après avoir essayé différentes choses, ça a donné le résultat que nous avons dans le jeu.

Iwata :

C’est étonnant de savoir que le choix des stages dans Super Mario a donné naissance à cet oiseau.

Aonuma :

En plus du choix des stages et du fait de pouvoir voler n’importe où, Iwamoto-san a ajouté de nombreuses îles et des tas d’éléments de jeu.

Iwata :

C’est donc pour ça que le ciel est très riche lui aussi.

Aonuma :

Oui.

Iwata :

Aonuma-san, comment se fait-il que vous soyez devenu planificateur ?

Aonuma :

C’est arrivé peu après que, grâce à la participation d’Iwamoto-san, ce que nous avons dit plus tôt à propos du ciel se soit tassé.

Iwamoto :

C’est faux ! (rires)

Aonuma :

Ah bon ? (rires) Eh bien, grâce au travail des concepteurs, l’île dans le ciel appelée Célesbourg a fini par prendre forme.

Video: Cette fois-ci, Link va à l’école de chevalerie et il vit dans le dortoir.

Fujibayashi-san, pourquoi avez-vous désigné Iwamoto-san en tant que « cerveau du ciel » ?
Cette fois-ci, Link va à l’école de chevalerie et il vit dans le dortoir. C’est un lieu assez élaboré, alors je n’étais pas sûr que ça aille, mais une fois que ça a pris forme, j’ai demandé à Iwamoto-san de me montrer le jeu depuis le début. Et franchement, ça n’allait pas du tout !

Iwamoto :

(rires)

Aonuma :

D’habitude au début d’un jeu, rien qu’en parlant aux personnages vous imaginez ce qu’il va pouvoir se passer ensuite et ça attise votre curiosité, mais là, ce n’était pas du tout le cas. On ne savait même pas si les gens qui apparaissaient étaient les camarades de classe de Link ou autres. Je lui ai dit : « Il va falloir retravailler cette partie ! » et il m’a répondu : « Je suis occupé en ce moment. »

Tous :

(rires)

Iwamoto :

Aonuma-san, vous y allez un peu fort !

Aonuma :

Ah bon ? C’est ce que je retiens, en tout cas. (rires) Alors, j’ai dit : « Quand est-ce que ça va être accrocheur ? » et il m’a répondu « Quand tout le reste aura pris forme. »

Iwata :

Comme pour dire : « Je suis occupé avec l’oiseau en ce moment ! » (rires)

Aonuma :

Oui. (rires) Mais je me suis dit que si ça ne prenait pas forme rapidement, quand Miyamoto-san viendrait nous voir, il nous demanderait : « Qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ? » et ça m’inquiétait beaucoup.

Iwata :

Oh, je vois. (rires) Miyamoto-san est très strict en ce qui concerne le début d’un jeu. Même si tout le reste est incroyable, si le début du jeu n’accroche pas les joueurs, il vous dit clairement que le jeu ne vaut rien.

Iwamoto :

Oui. Je l’ai vécu plusieurs fois.

Aonuma :

Vous voyez ? (rires) La situation commençait donc à être tendue. Et même quand je disais : « Il faut s’en occuper ! », personne ne le faisait, alors je me suis dit : « Je vais le faire moi-même ! »

Iwata Asks
Iwata :

Vous vous êtes porté volontaire en tant que planificateur.

Aonuma :

Oui, mais je dois avouer que j’en avais aussi très envie ! (rires)

Iwamoto :

Hmm, j’aimerais expliquer quelque chose.

Iwata :

Oui ?

Iwamoto :

Ce qui est important à propos de Célesbourg, c’est qu’il s’agit d’une plateforme d’où vous descendez pour accéder aux différentes zones du jeu et où vous retournez ensuite. À ce moment-là, nous devions créer l’apparence globale de Célesbourg et du ciel, et je n’avais donc pas le temps de m’occuper du début du jeu.

Fujibayashi :

Il faut aussi ajouter que Link passe beaucoup de temps à Célesbourg, tout autant que dans les autres zones de jeu. Il fallait donc que ce lieu soit riche lui aussi. Et c’est donc pour cela qu’Iwamoto-san ne pouvait pas s’occuper du début du jeu.

Iwata :

Je vois.

Fujibayashi :

Mais il fallait vraiment que le début du jeu soit accrocheur et seule une personne qui connaissait vraiment The Legend of Zelda pouvait le faire. Je disais tout le temps : « Utilisez les gens disponibles, même vos parents ! » (rires)

Tous :

(regardent Aonuma-san)

Aonuma :

Quoi ? (rires)

Tous :

(rires)

Fujibayashi :

En fait, avant qu’il ne se porte volontaire, nuit après nuit, Iwamoto-san et moi-même nous complotions en disant : « Il y a quelqu’un ici qui connaît vraiment The Legend of Zelda… »

Aonuma :

De quoi ? Vraiment ?

Iwamoto :

Et notre plan a fonctionné à merveille.

Aonuma :

Vous… vous m’avez piégé ! (rires)

Iwata :

(rires) Nous devrions appeler cette section « Le piège du producteur », non ? (rires)

Tous :

(rires)

Aonuma :

Honnêtement, tout le monde avait l’air vraiment occupé.

Iwata :

Et vous n’avez donc pas pu faire comme si de rien n’était ?

Aonuma :

Non. Je travaille sur The Legend of Zelda depuis le tout début et ça a toujours été difficile, mais cette fois-ci, ça l’était encore plus. Tout le monde disait sans cesse : « C’est difficile ! », alors une partie de moi a eu envie de voir à quel point ça l’était vraiment.

Iwata :

Et qu’est-ce que ça a donné ?

Aonuma :

C’était difficile. Plus difficile que jamais.

Iwata :

À ce point ?

Aonuma :

Cette fois-ci, nous avons utilisé un outil spécial pour le développement et les planificateurs pouvaient donc faire toutes sortes de choses. Avant, les planificateurs demandaient aux différents responsables de travailler sur les dialogues et la synchro des évènements, mais cette fois-ci, ils pouvaient le faire tous seuls dans une certaine mesure. En d’autres termes, ce que nous pouvions demander d’habitude aux programmeurs, nous pouvions le faire nous-mêmes. Et c’est pour ça que nous étions seuls à nous débattre jusqu’à la toute fin.

Iwata :

En d’autres termes, vous ne demandiez pas aux autres de tout peaufiner pour vous.

Aonuma :

C’est donc pour ça que c’était si difficile.

Fujibayashi :

Nous avons adopté ce système pour The Legend of Zelda: Phantom Hourglass sur la console Nintendo DS et ça s’est avéré très utile. Nous avons décidé de l’utiliser pour ce jeu-ci et ce n’était peut-être pas forcément le meilleur choix. (rires)

Aonuma :

C’est très difficile de dire si cette façon de faire est bonne ou pas, mais ça a le mérite d’éviter de perdre trop de temps lors du débogage. D’un autre côté, ça rend la répartition du travail compliquée et chaque personne a donc une lourde tâche à accomplir.

Iwata :

Comme vous pouvez tout faire vous-même, vous le faites vous-même.

Fujibayashi :

Oui. En tant que réalisateur, je m’y attendais, alors j’ai demandé à Iwamoto-san, qui a beaucoup d’expérience, mais il a fallu énormément de travail sur le ciel et la ville. Et comme l’a dit Aonuma-san, je savais que Miyamoto-san viendrait rapidement vérifier notre travail et pour que cette étape soit validée, je me suis dit qu’il me fallait un allié de taille comme Aonuma-san ! (rires)

Aonuma :

Oh, c’est donc pour ça que vous avez accepté aussi vite quand je me suis proposé ! (rires)

Iwata :

Vous avez fait en sorte que le premier producteur soit de votre côté pour valider. (rires)

Fujibayashi :

Oui. Et puis, il n’y avait personne de mieux placé que lui pour s’occuper du début du jeu.

Aonuma :

Mais plus tard, Miyamoto-san a quand même apporté des corrections en disant par exemple : « Aonuma-san, il y a trop de texte ! » (rires)

Iwata :

Mais le stratagème de Fujibayashi-san a fonctionné.

Fujibayashi :

Et comment ! (rires) Grâce à cela, le début du jeu est vraiment bon.

Iwata Asks
Iwata :

Aonuma-san, en tant que planificateur, que pensez-vous des parties sur lesquelles vous avez travaillé ?

Aonuma :

Au final, Miyamoto-san a corrigé beaucoup de choses, mais je pense que les personnages qui apparaissent au début du jeu sont attrayants. Je suis content de l’avoir fait.

Iwata :

Vous avez pu recréer l’ambiance d’école que vous vouliez ? (rires)

Aonuma :

Oui. Nous avons réussi à dépeindre les personnages qui se trouvent dans l’école de chevalerie, alors j’espère que les joueurs profiteront de cette atmosphère où tant de personnages apparaissent.