10. Je souhaite que tout le monde explore ce monde

Iwata :

A chaque fois que j'ai eu l'occasion de jouer à Zelda: Twilight Princess, je me surprends à penser : "Je n’arrive pas à croire que vous ayez inclus tous ces détails !" Et vu les efforts incroyables que vous avez faits pour amener le jeu à un tel niveau de finition, j’ai envie, dans cette dernière interview, que nous parlions de ces détails à tous les fans qui ont patiemment attendu sa sortie. Je pense par exemple au passage des saisons, ou au temps qu’il fait au Paradis du pêcheur, où l’eau devient boueuse après la pluie. Ou le liquide dans les jarres, dont la surface reste horizontale même lorsque vous les penchez pour boire. Pourquoi avez-vous passé tant de temps sur des choses aussi insignifiantes ? (rires) Je vous promets que j’avais peine à en croire mes yeux, à mesure que je remarquais combien il y avait de ces petites touches de finition à travers le jeu. Mais même si je continue de me demander pourquoi vous y avez porté tant d’attention, je voudrais que nous en parlions ici, afin que les gens puissent apprécier la quantité de travail qu’il vous a fallu pour remplir le jeu de tous ces petits détails incroyablement réalistes ! (rires)

Iwata Asks
Miyamoto :

Eh bien, j’ai toujours dit, en plaisantant à moitié, que dans ce jeu même le côté des montants des échelles étaient décorés ! (rires) Mais, de fait, lorsque vous montez à une échelle, la caméra se déplace derrière vous et il est impossible de voir les côtés des montants…

Aonuma :

Miyamoto-san, êtes vous en train d’essayer de me dire que l’équipe des développeurs n’a pas été correctement dirigée ? (rires)

Miyamoto :

Combien de temps avez-vous passé là-dessus ? (rires)

Iwata :

Hmm… Si nous parlions d’autre chose ? (rires)

Aonuma :

Pas d’objection ! (rires)

Miyamoto :

Chacun sait que dans Zelda, Link peut briser les panneaux indicateurs avec son épée. C’est encore le cas dans le premier village de Twilight Princess. Mais ce qui est nouveau, c’est que maintenant, le joueur peut ramasser les morceaux !

Tous :

(éclats de rire)

Aonuma :

Et bien sûr, si vous les jetez dans la rivière, ils flottent.

Tous :

(rires)

Miyamoto :

Non, c’est vrai, ils flottent ! La raison pour laquelle nous avons permis au joueur de pouvoir emporter les morceaux de panneaux, c’est parce qu’il n’y en a aucun à proximité de la rivière.

Aonuma :

Exactement ! (rires) Et si les morceaux ne pouvaient pas être emportés jusqu’à la rivière, comment pourraient-il flotter ?

Miyamoto :

Et puisque nous avions fait en sorte que les morceaux de bois flottent, il aurait vraiment été dommage que le joueur n’ait pas l’occasion de s’en apercevoir. C’est pourquoi ils peuvent les ramasser, les amener jusqu’à la rivière, et les jeter dans l’eau. Mettre en place un détail de ce genre nous a pris autant de temps que le design et l’animation d’un cheval ! (rires)

Iwata :

En l’occurrence, c’était mettre la charrue avant les chevaux ! (rires)

Miyamoto :

C’est bien vrai ! (rires)

Aonuma :

Et il était souvent difficile de déterminer où était la charrue, et où étaient les chevaux ! (rires)

Miyamoto :

Le joueur peut voir ces petites touches partout dans le jeu. Et vous pourriez vous demander pourquoi. En fait, dans les premières phases du développement, ni la trame générale du récit, ni ses détails n’avaient encore été décidés. C’est pourquoi l’équipe de développement a concentré ses efforts sur des éléments qui pourraient de toute façon être utilisés. Les ennemis étaient créés de sorte à pouvoir apparaître n’importe où, et les objets étaient prévus pour pouvoir être utilisés à n’importe quel moment. Normalement, lorsque la structure d’un jeu est fixée, il ne reste plus qu’à essayer d’y faire rentrer tous les éléments que vous avez déjà terminés, puis vous faites les ajustements nécessaires. Ainsi, vous limitez le travail perdu. Cependant, cette fois, les essais ont pris tant de temps que nombre de ces éléments mis au point dans le détail ont été conservés dans la version finale du jeu sans même passer par la phase d’ajustement.

Iwata Asks
Aonuma :

L’exemple parfait, ce sont les personnages qui esquivent lorsque vous essayez de les frapper avec l’épée ! (rires)

Miyamoto :

Ah, oui ! (rires) C’est vrai, il y a des enfants qui s’écartent de votre passage si vous essayez de les atteindre !

Iwata :

(rires)

Aonuma :

Dans les précédents jeux Zelda, les personnages non-joueurs réagissaient peu, ou pas du tout, si vous les frappiez. Nous avions travaillé sur cela à titre expérimental il y a déjà un moment, et nous avons décidé que dans ce jeu, seuls les enfants déguerpiraient devant l’épée de Link.

Miyamoto :

Ces enfants n’ont rien de particulier, si ce n’est le fait qu’ils esquivent tous les coups d’épée ! Et certains joueurs disent même que c’est ce qui les amuse le plus ! (rires) Je me souviens qu'il y en a un qui esquive en se penchant en arrière.

Aonuma :

C’est le plus petit d’entre eux, n’est-ce pas ?

Iwata :

Comme ces petits détails frivoles n’interviennent pas dans l’histoire, j’aimerais que l’on en montre une petite vidéo, si c’est possible…

Aonuma :

On en trouve beaucoup au début du jeu. Nous y avons travaillé dès les premières phases du développement.

Miyamoto :

Quoi d’autre… Ah oui, nous avons déjà parlé des chèvres, mais nous n’avons pas dit qu’elles sont en fait en nombre limité dans le jeu. Et quand j’en ai appris la raison, j’étais ébahi. (rires) Vous voyez, à un certain moment du jeu, Link doit ramener un certain nombre de chèvres. Et ce nombre ne correspond pas à la difficulté de la tâche, il correspond en fait au nombre de chèvres que l’on peut faire rentrer dans la bergerie !

Tous :

(rires)

Aonuma :

La bergerie avait été créée pour contenir un certain nombre de chèvres, ce qui nous a imposé un nombre de chèvres maximum…

Miyamoto :

Je suis allé demander au directeur pourquoi nous ne pouvions pas avoir plus de chèvres, et il m’a répondu que c’était parce qu’il n’y avait que vingt-quatre emplacements dans la bergerie ! (rires) Pourtant, dans les premières versions du jeu, Link ne pouvait même pas entrer dans cette bergerie…

Iwata :

Alors on ne pouvait même pas voir les vingt-quatre emplacements ?

Miyamoto :

Exactement ! (rires) Quelle idée, aussi, de limiter le nombre d'emplacements ! Mais finalement, on a pu faire entrer Link dans la bergerie.

Aonuma :

Et quand les chèvres s’échappent, vous pouvez de temps en temps aller dans la bergerie, et compter combien d'emplacements sont vides. Voilà le genre de détails que nous avons perdu notre temps à implémenter ! (rires)

Iwata Asks
Miyamoto :

Personne n’ira vérifier de toute façon ! (rires) Il y a beaucoup d’éléments de ce genre tout au long du jeu.

Aonuma :

C’est vrai. Ils ont été ajoutés sans que nous y fassions attention !

Iwata :

Vraiment ? (rires) Il y a tant de jolies finitions dans le jeu que je pense que le plus drôle sera les rires que vont déclencher ces petites surprises, à mesure que le joueur les découvre les unes après les autres. Après tout, puisque le joueur achète le jeu, autant qu'il en tire le plus de plaisir possible !

Aonuma :

Bien sûr ! (rires)

Miyamoto :

Je conseille aux joueurs de prendre le temps de changer l’angle de la caméra à l’occasion : ils pourront voir toute sorte de merveilleuses choses qui resteront cachées à ceux qui se cantonnent aux endroits strictement nécessaires à la progression du jeu.

Iwata :

Il me paraît tout de même difficile d’avancer cela comme un argument de vente majeur ! (rires)

Miyamoto :

Varier l’angle de vue montre à quel point l’attention portée aux détails a rendu le graphisme riche. Alors que l’on n’en sait rien en jouant normalement au jeu ! (rires) Mais si vous changez occasionnellement l'angle de la caméra, vous apercevrez tout d’un coup une vue tout simplement magnifique.

Aonuma :

C’est tout à fait vrai. Cela vaut le coup de prendre le temps de regarder un peu autour de soi. Il y a vraiment des endroits qui vous feront vous exclamer : "Quel monde magnifique !" Ce qui n’est pas, bien sûr, une garantie que le jeu est bon… (rires)

Miyamoto :

Je pense que c’est positif. Même les ennemis portent une superbe armure et un équipement orné de textures très fines. Les développeurs les ont créés sans se demander si cela serait visible à l’écran ou non ! (rires) Mais ils ont fait en sorte que le joueur ait le loisir de les voir un peu mieux après avoir mis l’ennemi à terre.

Iwata Asks
Aonuma :

En ce sens, nous n'avons pas fait de compromis quand il s'agissait de rendre le monde vivant. Et on peut voir clairement que l'équipe n'a jamais choisi la facilité.

Iwata :

C'est vraiment l'impression que l'on a.

Miyamoto :

J'avais eu une discussion avec Hayao Miyazaki1 alors qu'il travaillait sur Porco Rosso2 ; il m'avait demandé si je savais comment rendre un paysage authentique vu d'avion. Je n'étais pas sûr et quand je lui ai demandé de quoi il parlait il m'a juste dit : "Continuez de dessiner !" (rires) Ce qui compte, en fait, c'est de remettre l'ouvrage sur le métier et d'ajouter à chaque fois plus de détails. Dans le cas de ce Zelda, il y a eu des moments où c'est exactement ce que nous avons fait. Et c'est précisément grâce à tous ces efforts investis dans les détails graphiques que le jeu est si beau à regarder quand la caméra s'éloigne pour permettre d'observer les alentours.

Iwata :

Oui, je suis d'accord avec vous.

Miyamoto :

Je voudrais féliciter les développeurs pour tous les efforts qu'ils ont fournis pour réaliser ces petits détails, même si on ne les voit pas forcément quand on joue ! (rires)

Iwata :

Tout ce que vous voyez dans le jeu est entièrement construit, pas comme sur le plateau d'une émission de télévision, où quand vous regardez le décor selon un certain angle vous pouvez voir qu'en fait les éléments n'ont pas été réalisés entièrement. Concrétiser cette vision a peut-être été très coûteux, mais vous avez vraiment réussi à créer un univers rarement vu dans un jeu vidéo. Beaucoup de temps et d'énergie ont été investis dans la conception de tous les détails du jeu, et j'aimerais beaucoup que les joueurs profitent au maximum de cette richesse de jeu.

Miyamoto :

Même des éléments comme les portes ont été travaillés avec soin.

Aonuma :

C'est un autre gage du niveau de qualité que l'on peut trouver dans un Zelda. Par exemple, si nous faisions un jeu avec un angle de caméra fixe, nous n'aurions pas besoin de nous occuper de ce qui se trouve sur les côtés ou derrière le joueur, parce que cela n'apparaîtrait pas à l'écran. Mais ce n'est pas le genre d'approche que nous envisageons pour un jeu Zelda. Nous voulions aussi nous assurer que certains endroits du jeu étaient reliés entre eux et accessibles depuis n'importe quelle direction. Cela donne vraiment l'impression que nous n'avons jamais choisi la facilité. La raison pour laquelle nous avons fait tant d'efforts pour inclure le plus d'éléments possible est certainement notre envie de faire ressentir aux joueurs que le vaste monde d'Hyrule est débordant de vie.

Iwata :

D'accord. Pour finir, j'aimerais vous demander à tous les deux le message que vous aimeriez faire passer à tous les fans qui attendent Zelda: Twilight Princess. Voudriez-vous commencer, Aonuma-san ?

Aonuma :

Eh bien, je voudrais simplement leur demander d'apprécier dans son entier le monde merveilleux que nous avons créé. Nous y avons travaillé avec acharnement et nous avons vraiment le sentiment d'avoir atteint notre but et d'avoir réalisé quelque chose de vraiment exceptionnel. J'espère que vous allez prendre le temps d'y jouer, car un nouveau type d'expérience vous attend dans ce Zelda.

Iwata :

Miyamoto-san, que voudriez-vous dire ?

Miyamoto :

Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'équipes au monde capables de développer un jeu de ce calibre. Il est fidèle à l'esprit de Zelda, je veux dire, ce jeu suit le chemin évident qu'un Zelda se doit de suivre. Je ne peux pas prédire comment le monde réagira à ce jeu, mais je peux dire avec certitude qu'il n'y a rien de comparable sur le marché. Les développeurs sont toujours restés positifs, et même extenués, ils ont travaillé dur jusqu'au dernier moment, pour tout mette en place. Parce qu'autant d'énergie a été investie dans ce jeu, j'aimerais vraiment que les gens se le procurent et l'essayent. Quant à mon rôle dans ce Zelda, je crois que j'ai plus participé à la mise en place définitive des éléments qu'à l'aspect créatif du développement. Maintenant que le jeu est fini, je peux regarder en arrière et me dire que ça a été une grande expérience. Qu'en pensez-vous, Iwata-san ?

Iwata :

Tout d'abord, je pense que la décision de repousser d'un an la sortie du jeu a vraiment été bénéfique. L'échelle démesurée de ce projet signifiait qu'il n'y avait pas de plan bien défini dès le début, mais malgré tout j'ai le sentiment que l'équipe de développement a démontré tout son potentiel et tout son talent en assemblant parfaitement tous les éléments du jeu pour obtenir un produit fini parfait. Je n'ai pas encore eu l'occasion de jouer au jeu du début à la fin, mais j'ai pu voir tous les éléments individuellement et je peux affirmer que la somme des idées et de l'énergie qui a été investie dans ce jeu ressort brillamment à l'écran. Même avec toutes les ressources dont Nintendo dispose, nous ne pouvons réaliser ce genre de projet qu'une fois tous les deux ou trois ans. En fait, ça ne va peut-être pas être facile de le refaire un jour, donc je veux vraiment que tout le monde puisse passer un excellent moment en jouant à ce jeu.

Iwata Asks
Aonuma :

En effet. Et avec cette version de Zelda, vous allez vraiment pouvoir vous amuser un bon moment, peut-être même plus d'une centaine d'heures.

Iwata :

Et pas une seule minute n'est ressentie comme une corvée, ce qui est vraiment une réussite.

Miyamoto :

Quand nous parlons d'une centaine d'heures, nous ne voulons pas dire que vous passerez la moitié du temps à améliorer vos caractéristiques et votre équipement… Bon, vous aurez peut-être besoin une fois ou deux d'amasser des rubis, mais c'est tout ! (rires) Et même dans ce cas, nous nous sommes arrangés pour que le joueur puisse s'amuser en trouvant des idées pour se procurer ces rubis. C'est un jeu dont vous ne vous lasserez jamais !

Aonuma :

Ce projet est aussi le résultat de la collaboration d'un ensemble de créateurs, jeunes et moins jeunes, qui ont travaillé ensemble pour trouver des idées parvenant à combiner une approche novatrice et un gameplay singulièrement nostalgique.

Iwata :

Et grâce à cela, je pense que nous avons créé un jeu qui pourra plaire au plus grand nombre.

Aonuma :

Tout à fait, et même des gens de la génération de Miyamoto-san y joueront ! (rires) C'est une expérience qui pourra plaire à trois générations différentes.

Iwata :

Vous voulez dire comme les jeux de la "Touch! Generations" ? (rires)

Aonuma :

Oui. Et c'est une bonne chose ! (rires)

Miyamoto :

Je voulais également remercier les équipes du son et de la programmation, ainsi que les personnes qui se sont occupé des vidéos et des démos. Ils n'ont pas pris part aux interviews, mais ils ont travaillé aussi dur que les autres.

Aonuma :

C'est vrai.

Iwata :

Pour être honnête, il me reste encore beaucoup de questions que j'aimerais poser aux développeurs dans ces interviews…

Miyamoto :

En parlant de ça, ces discussions vont être traduites et mise en ligne dans le monde entier sur les sites Internet de Nintendo, non ? Je voudrais aussi dire aux fans de Zelda du monde entier que des membres des équipes de localisation sont venus travailler avec nous pendant le développement. Je voulais dire à ces équipes qu'elles s'investissent vraiment beaucoup dans leur travail.

Iwata Asks
Aonuma :

Elles ont vraiment travaillé dur. En plus, c'est la première fois qu'un jeu Zelda sort simultanément dans le monde entier. Plusieurs équipes de traducteurs venus de tous les horizons sont venues au Japon et ont travaillé avec nous pour rendre tout cela possible.

Miyamoto :

Ils sont même restés avec nous quand nous travaillions tard dans la nuit.

Aonuma :

C'est vrai. D'une manière générale, on dit que la plupart des gens dans les autres pays ne travaillent pas si tard, mais ceux-là sont restés parfois jusqu'à une heure du matin !

Miyamoto :

J'ai dit à des membres d'une équipe européenne qu'ils travaillaient tard. Ils m'ont répondu : "Bien sûr ! Les employés japonais ne sont pas encore rentrés chez eux non plus !"

Iwata :

(rires)

Aonuma :

On pouvait ressentir une grande unité dans l'équipe. Quand ils allaient à l'épicerie du coin pour acheter un bento (sorte de panier-repas) tard dans la nuit, nous nous disions : "Ils font exactement comme nous !" (rires)

Iwata :

A toutes les équipes de localisation qui ont travaillé sur ce projet : je trouve que vous connaissez bien la culture japonaise !

Aonuma :

Je suis d'accord.

Miyamoto :

Autre chose : il y avait plus de personnes pour traduire les textes du jeu en Anglais que pour écrire les originaux en Japonais ! (rires)

Aonuma :

C'était vraiment le cas ! (rires) Il y avait des gens pour dégager les subtilités du Japonais, d'autres pour traduire le texte en Anglais, et d'autres encore plus nombreux pour retravailler l'Anglais et le rendre plus naturel !

Miyamoto :

Sans oublier ceux qui devaient retravailler les parties de l'histoire qui leur semblaient bizarres ! (rires)

Tous :

(éclats de rires)

Iwata :

Je tiens à vous remercier tous les deux pour le temps que vous avez consacré à mes questions.

Aonuma :

Merci à vous.

Miyamoto :

Merci beaucoup.

(Ceci marque la fin des interviews concernant Zelda: Twilight Princess. La prochaine discussion portera sur le jeu WarioWare: Smooth Moves)